Elections locales en Espagne : la droite aux portes du pouvoir
Elections locales en Espagne : la droite aux portes du pouvoir
Les élections municipales et régionales du 28 mai dernier ont constitué un coup de massue pour la gauche espagnole. Les Espagnols étaient appelés à renouveler l’ensemble des conseils municipaux du pays ainsi que les conseils régionaux de 12 des 17 communautés autonomes qui constituent l’Espagne. Si les sondages prédisaient une victoire de la droite, ils n’avaient pas anticipé une telle déroute qui a conduit le Président du gouvernement d’Espagne, le socialiste Pedro Sanchez au pouvoir depuis 2018, à avancer les élections législatives de décembre à juillet 2023. Ces résultats sont annonciateurs d’un retour des conservateurs et des patriotes au pouvoir dans une Espagne de plus en plus minée par le wokisme.
Une vie politique espagnole fragmentée
Depuis les années 1980, le Parti Populaire (PP) de droite et le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) dominent la vie politique espagnole et se succèdent au pouvoir. Quasiment hégémoniques pendant longtemps, ces deux partis ont vu leur domination contestée ces dernières années par l’émergence de nouvelles forces politiques. Les élections de 2015 marquées par la crise économique et le Mouvement des Indignés ont ainsi vu l’apparition du mouvement de gauche radicale Podemos, qui faillit remplacer le PSOE comme principale force de gauche, et celle des centristes de Ciudadanos. Podemos s’est ensuite allié à d’autres formations de gauche radicale, à commencer par la Gauche Unie, coalition centrée autour du Parti Communiste d’Espagne, pour former Unidas Podemos. Puis, dans le contexte de la crise séparatiste catalane, ce fut au tour de la droite radicale patriote de faire son apparition aux élections de 2019 avec le parti Vox.
La vie politique espagnole est plus compliquée que celle de ses voisins car elle repose sur un double clivage : politique et régionale. En effet, l’Espagne est un État unitaire mais décentralisé et composé de 17 communautés autonomes, souvent porteuses d’identités régionales fortes, et de deux villes autonomes, les enclaves de Ceuta et Melilla situées sur la côte marocaine. La politique espagnole reflète cette spécificité. Ainsi, aux partis nationaux que nous avons déjà évoqués s’ajoutent des partis régionaux, dont les positions peuvent varier de l’unionisme à l’indépendantisme en passant par l’autonomisme. Cela complexifie la situation car dans les régions, comme la Catalogne, où ces partis sont très puissants, ce second clivage peut prendre le dessus sur le premier. Ainsi la gauche catalane s’alliera parfois plus facilement à la droite catalane qu’à la gauche espagnole. Cela provoque aussi un émiettement du paysage politique espagnol avec la présence au Parlement de nombreux partis régionaux porteurs de leurs revendications propres.
Des élections qui viennent sanctionner le gouvernement socialiste
En 2018 le PSOE arrive au pouvoir, d’abord seul puis à partir de 2019 avec Unidas Podemos. La formation de ce gouvernement se fait néanmoins dans la douleur. Une partie importante du PSOE n’apprécie pas cette alliance avec la gauche radicale, d’autant que le Président du Gouvernement Pedro Sanchez s’était engagé à ne pas la faire. De plus, pour obtenir sa majorité, Sanchez a dû faire des compromis avec les séparatistes catalans et basques ce qui a mis en colère les secteurs les plus unionistes et anti-régionalistes de son parti. Le rapport de force au sein de la gauche est, en revanche, de nouveau favorable au PSOE qui a progressé fortement aux élections de 2019 (28% vs 22% en 2016) au détriment de Unidas Podemos (12% en 2019 vs 21% en 2016). Ce gouvernement marque le début d’une plus grande polarisation de la vie politique espagnole. Car si la gauche et la gauche radicale se sont alliées au gouvernement, les conservateurs du PP n’ont pas hésité à s’allier localement avec les patriotes de Vox devenus troisième force du pays. Dans le même temps, les centristes de Ciudadanos se sont effondrés.
D’abord populaire du fait de ses mesures sociales et de sa relativement bonne gestion de l’économie, le gouvernement Sanchez a vu petit à petit son soutien décroître dans la population. En cause, tout d’abord, la baisse du pouvoir d’achat engendrée par la crise du COVID et la forte inflation ainsi que le maintien d’un niveau de chômage élevé et la difficulté à gérer l’immigration, notamment dans les enclaves de Ceuta et Melilla. Les concessions faites aux nationalistes basques et catalans l’ont aussi affaibli auprès d’une partie de l’électorat attachée à l’unité de l’Espagne. Enfin, son ralliement de plus en plus visible au wokisme sous l’influence de Unidas Podemos a divisé jusque dans son camp. Ainsi, l’exhumation du corps de Francisco Franco du monument de la Valle de los Caídos où il était enterré a été perçue comme une volonté de rouvrir les blessures de la guerre civile et cela bien au-delà des cercles nostalgiques du franquisme. De plus, la Ministre de l’Egalité de gauche radicale, Irene Montero, s’est illustrée par plusieurs lois très controversées. Ainsi la « loi trans » adoptée l’année dernière est l’une des plus radicale au monde sur le sujet. Elle permet aux personnes dites « transgenres » de changer de nom et de sexe lors d’un simple rendez-vous auprès de l’administration, sans fournir de rapport médical, et cela dès 16 ans, voir dès 12 ans en cas d’accord de la justice. Elle a entraîné de nombreuses critiques y compris au sein de la gauche. Certaines féministes ont notamment dénoncé la possibilité pour les personnes dites « transgenres » de participer aux compétitions sportives féminines ou d’être enfermées dans des prisons pour femmes. De même, certains marxistes ont dénoncé une loi d’inspiration libérale et très éloignée des attentes et préoccupations des classes populaires comme en témoigne la campagne menée sur le sujet par le très radical Parti Marxiste-Léniniste (Reconstruction Communiste). Et, dans certains cas, l’amateurisme est venu s’ajouter au gauchisme. La Loi « seul un oui est un oui », était censée mieux protéger les femmes victimes de violences sexuelles notamment en supprimant la distinction entre abus et agression sexuelle. Pourtant, elle a conduit à cause d’une faille anticipable dans la rédaction de la loi, à une réduction de peine, voir à une libération, de plusieurs centaines de violeurs ou agresseurs sexuels déjà condamnés.
Lors des élections locales, la droite a profité de ce contexte d’affaiblissement du gouvernement socialiste. Avec 31,5% des voix contre 28% pour les socialistes, le PP est l’un des grands vainqueurs de ces élections. S’il faudra attendre l’annonce des coalitions municipales et régionales pour tirer le bilan définitif de ces élections, le PP est d’ores et déjà assuré de gains politiques importants. Il conserve le contrôle de villes majeures, à commencer par Madrid, et en conquiert de nombreuses comme Valence ou Séville lui permettant de gouverner trois des quatre plus grandes villes espagnoles. Il devrait aussi être majoritaire dans six des neuf régions précédemment socialistes en jeux lors de ces élections, parvenant à conquérir certains bastions de la gauche. Vox est le second vainqueur de ces élections. Avec 7% des voix, il double son score et démultiplie son nombre d’élus tant municipaux que régionaux. Surtout, il est désormais présent dans la totalité des régions et le PP devra s’allier à lui pour gouverner ce qui en fait un acteur politique clé. À gauche, si le PSOE limite la casse, la gauche radicale est en déroute. Désormais divisée en deux entre Podemos et une nouvelle coalition Sumar formée par la Gauche Unie et une scission de Podemos, elle s’effondre partout et aucune des deux listes ne parvient à tirer son épingle du jeu. La division lui a coûté cher et a été très mal perçue par son électorat. Enfin, les centristes de Ciudadanos disparaissent quasiment de l’échiquier politique espagnol.
Des élections législatives qui s’annoncent compliquées pour la gauche
Face à cette défaite, Pedro Sanchez a avancé les élections législatives à juillet prochain. Les sondages ne sont pas bons pour la gauche au pouvoir. Le PP caracole en tête à plus de 30% tandis que Vox est aux alentours de 15%. En face, le PSOE peine à se maintenir au-dessus de 25% et aucune des listes de gauche radicale ne dépasse les 10%. Néanmoins tout n’est pas encore gagné pour la droite. Si Pedro Sanchez a avancé les élections, ce n’est pas seulement par respect pour le vote des Espagnols. Il espère pousser les deux listes de gauche radicale, Podemos et Sumar, encore sous le choc de leur échec, à s’allier pour éviter une dispersion des voix. Mais surtout il espère ainsi mettre la droite en difficulté. En effet, la campagne aura lieu alors que le PP et Vox seront en train de négocier des alliances au niveau régional brouillant ainsi leur message. La fermeté de Vox, qui n’aura aucun intérêt à accepter des compromis au niveau régional sous peine de décevoir son électorat, risque d’écorner l’image de modération que le PP cherche à se donner. Négociations locales et élections nationales risquent de se gêner mutuellement. Et l’alliance avec Vox, parti créé pour lutter contre le régionalisme, risque de faire perdre des voix au PP du côté de la droite régionaliste puis de rendre difficile les négociations avec cette dernière en vue de la formation d’une majorité en cas de victoire de la droite. L’exemple des Canaries où la droite est majoritaire mais est incapable de trouver une majorité du fait de l’hostilité entre Vox et les régionalistes de droite témoigne de cette difficulté. Enfin, l’alliance entre le PP et Vox permet au PSOE de mobiliser les électeurs de gauche, et notamment de gauche radicale, autour d’un prétendu retour, bien évidemment fantasmé, du franquisme. Si la droite pourrait bien reprendre le pouvoir, la campagne qui commence s’annonce donc mouvementée.
Raphaël Audouard