Elections en Afrique du Sud : vers la guerre civile ?
Tous les lundis matin, vous pouvez retrouver Raphaël Audouard, le directeur de la Fondation Identité et Démocratie, dans Ligne Droite, la matinale de Radio Courtoisie puis sa chronique sur notre site internet. Cette semaine, nous nous intéressons aux élections en Afrique du Sud.
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Le 29 mai, se déroulaient les élections législatives en Afrique du Sud dans un contexte particulièrement explosif de tensions communautaires. Ces élections ont vu pour la première fois depuis la fin de l’Appartheid le Congrès national africain (African National Congress – ANC) fondé par Nelson Mandela perdre sa majorité au Parlement. L’Afrique du Sud rencontre désormais dans une période de négociation en vue de la formation d’une coalition gouvernementale alors que le spectre de la guerre civile menace toujours le pays.
Un pays marqué par les tensions communautaires
L’Afrique du Sud a pendant longtemps été une colonie de peuplement qui a vu des colons européens, venus principalement des Pays-Bas (Afrikaners) et dans une moindre mesure d’Angleterre, s’installer dans le pays. Aujourd’hui, le pays compte environ 80% de noirs, 7% de blancs et 8% de « coloured », terme désignant les populations issues du métissage. À cela, s’ajoute une grande diversité au sein même des populations noires bantoues autochtones du pays. Ainsi, les Zoulous présents dans le sud-est du pays cultivent un nationalisme s’appuyant sur le souvenir de la domination de l’Empire zoulou sur la région jusqu’à l’arrivée des Européens.
À la fin de l’apartheid dans les années 1990, l’ANC de Nelson Mandela s’empare du pouvoir politique et une bourgeoise noire, très liée au parti, émerge. Mais dans le même temps, le pouvoir économique reste entre les mains de la bourgeoisie blanche et la majorité de la population noire reste confrontée à une très grande pauvreté. L’abandon progressif des promesses de justice sociale de l’ANC et la corruption du gouvernement ont entraîné une très grande violence qui mine le pays. En particulier, une violence anti-blanche s’est développée de façon dramatique. Les fermiers blancs, isolés, sont régulièrement pris pour cible dans des attaques commises par les noirs qui s’accompagnent d’actes de pillage, de viols et de meurtres parfois de familles entières. À cette violence interpersonnelle, s’ajoute une violence étatique du fait des expropriations de terre votées par l’ANC et surtout des mesures de discrimination à l’embauche prises contre les populations blanches et qui plongent les classes populaires blanches dans des situations de très grande misère. La société sud-africaine est à la fois l’une des plus violentes et des plus inégalitaires qui soient. De profondes inégalités subsistent entre ethnies, les blancs restant en moyenne bien plus riches que les noirs et au sein des communautés. Chez les noirs, des élites principalement issues de l’ANC se sont enrichies tandis que les classes populaires restent massivement pauvres. Du côté des blancs, les élites ont gardé le pouvoir économique tandis que les classes populaires sont victimes d’une très grande violence raciste et sont réduites à la misère par les lois de l’ANC.
La fracturation politique du pays
Pendant longtemps, le clivage politique était assez simple en Afrique du Sud : d’un côté, une gauche noire d’inspiration marxiste dominée par l’ANC et plutôt favorable à la Russie et à la Chine et de l’autre, une droite libérale blanche favorable à l’Occident et représentée par l’Alliance démocratique (Democratic Alliance – DA). Néanmoins, avec la montée des tensions sociales et communautaire, l’échiquier politique s’est fracturé. Du côté de la gauche noire, face à l’incapacité de l’ANC de régler les problèmes économiques, d’insécurité et de corruption, de nouvelles forces politiques plus radicales se sont développées à commencer par les comme les Combattants de la liberté économique (Economic Freedom Fighters – EFF), une organisation combinant un discours marxiste-léniniste à un nationalisme noir ouvertement raciste envers les blancs. N’hésitant pas à appeler à chasser, voir à tuer les blancs, les EFF s’inspirent du dictateur zimbabwéen Robert Mugabe qui avait chassé tous les blancs du pays à son arrivée au pouvoir, plongeant le Zimbabwe dans la misère et la famine. Du côté de la droite blanche, l’incapacité des modérés de l’Alliance démocratique de proposer une réponse à la violence qui touche les fermiers et les classes populaires, des forces politiques plus conservatrices ont émergé. La colère, présente dans toutes les communautés, vis à vis de l’immigration venue des pays africains voisins a aussi renforcé ces nouvelles forces national-conservatrices.
Dans le même temps, des mouvements séparatistes ont vu le jour. L’Ouest du pays, autour du Cap de Bonne-Espérance, est peuplé majoritairement de blancs et de coloured de langue afrikaner. Parmi ces populations, de nouvelles forces politiques émergent pour demander la création d’un nouvel état regroupant blancs et coloured. Enfin, le nationalisme zoulou se renforce et prend de plus en plus des allures de séparatisme. Pendant longtemps, le Parti Inkatha de la liberté (Inkatha Freedom Party – IFP) était le seul représentant de ce nationalisme mais il a récemment été rejoint par une nouvelle formation politique, la Lance de la Nation (Umkhonto we Sizwe – MK), dirigée par l’ancien président zoulou de l’ANC et de l’Afrique du Sud, Jacob Zuma. Ce nouveau parti cherche à ravir à l’ANC les territoires zoulous.
Les résultats de ces élections législatives
Quelques éléments importants sont à noter : d’abord, l’ANC avec 40% des voix perd sa majorité. C’est la première fois depuis la fin de l’apartheid que l’ANC n’a pas de majorité au parlement sud-africain. L’Alliance démocratique et les EFF restent stables tandis que les séparatistes progressent. Du côté zoulou, l’Umkhonto we Sizwe réussit son pari de ravir les territoires zoulous à l’ANC et au Cap, les séparatistes blancs et « coloured » progressent.
Privé de majorité, l’ANC va devoir créer un gouvernement de coalition. Deux possibilités politiques existent. La première serait une grande coalition d’union nationale avec l’Alliance démocratique (et peut être d’autres partis comme l’Inkatha zoulou) pour tenter d’atténuer les tensions dans le pays. Une coalition entre l’ANC et les différents partis nationalistes noirs (EFF ou Umkhonto we Sizwe) serait aussi possible mais un tel gouvernement renforcerait évidemment les tensions entre les différentes communautés, surtout en cas d’entrer au gouvernement des EFF qui appellent régulièrement à tuer les blancs. La première option semble la plus probable mais il est peu probable qu’un tel gouvernement serait en mesure de répondre aux soucis rencontrés par la société sud-africaine. Dans tous les cas, le pays reste en sursis et l’opposition est en incapacité de proposer une vraie alternative. Il semble de plus en plus que la seule solution pour éviter un embrasement et une guerre civile serait une partition pacifique du pays avec la création d’un pays blanc et « coloured » autour du Cap de Bonne-Espérance et le maintien d’un État quasi exclusivement noir-africain en Afrique du Sud avec peut-être une autonomie pour les Zoulous. L’Afrique du Sud, longtemps présenté comme un modèle de réconciliation et de coexistence entre les communautés, risque de ne pas survivre longtemps après la mort de Nelson Mandela.