Elections en Inde : nouvelle victoire pour les nationalistes
Tous les lundis matin, vous pouvez retrouver Raphaël Audouard, le directeur de la Fondation Identité et Démocratie, dans Ligne Droite, la matinale de Radio Courtoisie puis sa chronique sur notre site internet. Cette semaine, nous nous intéressons aux élections en Inde.
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Des élections législatives dans un contexte de tensions communautaires
Le 1er juin prenaient fin les élections législatives en Inde pour réélire les 543 sièges de la LokSabha, la chambre basse du parlement indien, et désigner le Premier ministre. Depuis 2014, le Parti populaire indien (BJP) dirige le pays avec Narendra Modi comme Premier ministre. Le BJP est un parti de droite, néolibéral en économie, conservateur et surtout très nationaliste. Son idéologie officielle, l’Hindutva, repose sur l’idée que l’hindouisme, qui est la religion de 80% de la population indienne, doit servir de base à toute la société indienne. Le BJP est donc un parti nationaliste religieux hindou qui s’appuie sur la majorité hindoue, mais est régulièrement accusé de représenter un danger pour les minorités religieuses du pays, et notamment la minorité musulmane. En effet, l’Inde est un pays divers en terme religieux et qui compte 15% de Musulmans. Avec 70 millions de Musulmans, l’Inde est d’ailleurs le troisième pays musulman au monde. Depuis maintenant plusieurs décennies, de fortes tensions opposent Hindous et Musulmans, tensions qui dégénèrent souvent en explosion de violence. L’arrivée au pouvoir du BJP, qui soutient les nationalistes hindous, s’inscrit dans ce contexte de tensions religieuses et communautaires et ce dernier n’hésite pas à se servir de la loi pour soutenir la cause de l’hindouisme. Ainsi, la loi anti-conversion votée par le BJP, officiellement pour empêcher les conversions forcées d’Hindous, sert bien souvent aux gouvernements régionaux à persécuter les Musulmans, et aussi parfois les Chrétiens qui représentent 2% de la population du pays.
La construction du temple hindou d’Ayodhya, symbole de la discorde entre Hindous et Musulmans
La construction récente d’un temple hindou sur le lieu d’une ancienne mosquée a rendu la situation particulièrement explosive et traduit les conflits qui agitent la société indienne. Ayodhya est une ville sacrée pour l’Hindouisme. Elle aurait été fondée par Manu, le premier homme, équivalent hindou d’Adam et serait le lieu de naissance de Rama, septième avatar du dieu Vishnu, l’une des plus importantes divinités hindoues. Au XVIe, après la conquête de l’Inde par les Musulmans, une mosquée fut construite dans la ville en remplacement d’un temple dédié à Rama. Cette mosquée est devenue le symbole de la lutte entre Musulmans et Hindous dans le pays, ces derniers exigeant la destruction de la mosquée et la reconstruction du temple de Rama. En 1992, une foule de nationalistes hindous ont détruit la mosquée, provoquant une flambée de violences communautaires dans tout le pays qui ont abouti à plus de 2000 morts, principalement musulmans. Depuis cette date, les Hindous exigeaient la construction du temple de Rama tandis que les Musulmans demandaient la reconstruction de la mosquée. Le BJP avait fait de la promesse de construction du temple un élément central de sa communication et un symbole de sa volonté de faire triompher la cause de l’hindouisme. En 2019, la cour suprême a statué en faveur des Hindous et un nouveau temple a été construit. Inauguré en grande pompe par le premier ministre Narendra Modi, le Ram Mandir est l’un des plus grands temples hindous du pays et a vocation à faire de la ville d’Ayodhya une Jérusalem hindoue. Pour le BJP, cette victoire tant politique que religieuse est le signe de l’avènement d’une nouvelle ère qui marque la renaissance de l’Inde et sa libération. Cette inauguration a renforcé les tensions entre Musulmans et Hindous.
Les forces politiques en présence lors de ces élections
L’Inde est un pays immense et une mosaïque d’ethnies et de religions. Le très grand nombre de partis politiques dans le pays reflète cette diversité. Néanmoins, lors des élections nationales, ces partis se rassemblement au sein de vastes coalitions qui peuvent rassembler une quarantaine ou une cinquantaine de partis politiques régionaux rassemblés autour d’un grand parti national. Lors des élections de 2024, deux grandes coalitions s’affrontaient. D’un côté, l’Alliance démocratique nationale (NDA) menée par le BJP et rassemblant des partis allant du centre-droit à la droite radicale unis derrière le projet nationaliste de Narendra Modi cherchait à obtenir à un troisième mandat pour ce dernier. Face à elle, l’Alliance inclusive de la Nation indienne pour le développement (INDIA) est dirigée par le Congrès national indien (INC). Fondé en 1885, l’INC est le plus vieux parti du pays. Parti de Gandhi, il est celui qui a obtenu l’indépendance puis a dirigé le pays pendant plusieurs décennies jusqu’à ce que le BJP mette fin à sa domination sur la vie politique indienne. Depuis, il est le premier parti d’opposition. De centre-gauche, social-démocrate, laïc, occidental et progressiste, l’INC défend un nationalisme civique qui tranche avec le nationalisme religieux du BJP. Il s’appuie sur les classes moyennes occidentalisées des grandes villes du pays ainsi que sur les minorités ethniques et religieuses du pays dont il prétend défendre les intérêts contre les nationalistes hindous. Il critique ce qu’il considère comme étant des dérives illibérales du BJP ainsi que son bilan économique et social.
Une victoire en demi-teinte pour le BJP
Comme attendu, le BJP a remporté les élections indiennes. Avec 42,5% des voix et 293 sièges sur 543, dont 36,5% des voix et 240 sièges pour le BJP, la NDA conserve sa majorité à l’Assemblée. Néanmoins, elle échoue à obtenir une majorité des deux tiers, objectif affiché par le BJP pendant sa campagne. Une telle majorité lui aurait permis de changer la constitution de l’Inde, notamment pour revenir sur son caractère laïc en reconnaissant l’hindouisme comme religion officielle. A l’inverse, le bon score de l’INDIA , 40,5% des voix dont 21% pour le Congrès, marque la renaissance du Congrès national indien après une décennie de difficultés électorales. Reste néanmoins à savoir si la vaste coalition d’opposition survivra à cette défaite.
Les enjeux de ces élections pour l’Europe
L’Inde est une puissance émergente, à la fois du point de vue démographique (elle sera bientôt la première nation en termes de population) et économique (l’Inde bénéficie d’une très forte croissance du PIB). Les évolutions qui touchent le pays sont donc importante à prendre en compte. Par ailleurs, elle est une des puissances fondatrices des BRICS, la coalition de pays cherchant à proposer une alternative à l’hégémonie occidentale. Dans le même temps, l’Inde est méfiante vis-à-vis de la Chine avec laquelle elle a des conflits territoriaux, dans le Ladakh, le Kashmir et l’Arunachal Pradesh. De plus, l’hostilité du gouvernement du BJP envers l’islamisme rend l’Inde solidaire des pays occidentaux victimes du terrorisme. De nombreux Indiens avaient ainsi exprimé leur solidarité au moment des attentats qui avaient meutri la France. Cette volonté d’incarner une forme de non-alignement à équidistance des Etats-Unis et de la Chine et cette hostilité affichée envers le développement de l’islamisme font de l’Inde un allié pour les patriotes européens.