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Irak, Kurdistan ; le réveil des Empires, le défi à l’Europe ?

Irak, Kurdistan ; le réveil des Empires, le défi à l’Europe ?

L’Europe, la France n’en ont pas fini avec l’Irak. Ce pays de bientôt 40 millions d’habitants, divisé en régions dont la région autonome du Kurdistan, avec près de 5 millions d’habitants, revendique une indépendance quasi-totale, est l’un des premiers pays d’origine des migrants qui fuient vers l’Europe ? C’est aussi l’un des rares pays avec lequel plusieurs pays européens sont entrés en guerre, lors de la première intervention américaine en 1990. L’un des clients privilégiés de la France dans les années 1980, devenu Etat pariah, puis Etat failli, avant d’être un Etat à reconstruire, l’Irak interpelle l’Europe, autant que l’Europe appelle les Irakiens…

Alors que défilent à Badgad tous les grands de ce monde, avec plus de bonnes paroles que de bonnes actions, la Fondation Identité et Démocratie a tenu à faire le point surplace, comme elle le fera dans plusieurs autres lieux chaud du voisinage stratégique européen, de Banya Luka à Kiev et d’Istambul à Alger, Bamako ou Damas. Pour montrer ; pour dire ce qui est ; et pour tenter de nourrir un dialogue stratégique réaliste avec les pays du voisinage européen. Avec Christophe Bouchet, qui a vu et filmé les premiers jours de la chute de l’Etat islamique, nous sommes allés à Erbil d’abord, avec d’éminents représentants de la famille Barzani, qui tient la capitale et la région – et aussi se dit-il, le Parlement irakien… A Lalish, lieu sacré des Yézidis, à Kara Kosh, ville martyre des chrétiens d’Irak, à Mossoul, éphémère capitale de l’Etat islamique. Nous rencontrerons la seule femme maire d’une ville irakienne, au Kurdistan ; l’évêque de Bagdad, le père Emmanuel premier prêtre à la reconquête de Mossoul, un Irakien otage de Daesh pendant trois mois, un enseignant français en géopolitique, Gérard Chaliand, des Sunnites inquiets de la formation du nouveau gouvernement et qui manifestent à Bagdad, des élus mécontents de la préférence des Européens pour les Kurdes, et surtout, des Irakiens de tout âge, de toute condition, qui nous diront espoirs, peurs, et qui portent le fardeau des invraisemblables erreurs qui ont suivi la libération du tyran sanguinaire qu’était Saddam Hussein, mais aussi la destruction du régime laïc et socialiste du parti Baas. Ici comme en Libye, il faut l’impunité insolente des Américains et de leurs complices pour affirmer que c’est mieux qu’avant – dans combien d’années pourront ils le dire, s’ils le disent un jour ?

L’Union européenne aurait-elle contaminé le Kurdistan avec son optimisme invétéré ? Un premier entretien dans la ville d’Erbil, capitale du Kurdistan, lundi 6 décembre, donne à le croire. Au palais présidentiel, avec un talent consommé et tous les mots qu’il faut dire, le jeune ministre des relations extérieures de la Région autonome du Kurdistan Irakien, Saif Barzani, nous dépeint un îlôt de paix, de coexistence pacifique et de diversité. Bienvenue au Kurdistan ; océan de douceur dans un monde de brutes ! Et il affirme que l’Islam est une religion pacifique et bienveillante aux minorités. Il l’a dit au pape François, à Emmanuel Macron, et même à Josep Borrell. Dois je le croire ?

Quelques minutes plus tard, nous préparons notre départ pour l’Irak et Mossoul dans le café turc qui s’adosse à des murailles qui auraient vu passer Alexandre le Grand, voici 2300 ans…. Notre accompagnateur était officier supérieur dans l’armée irakienne.

Licencié sans reclassement par un proconsul américain ignorant et brutal, Paul Bremer, il a combattu l’Etat islamique, et il nous tient un autre langage. En 2014, les Chrétiens ont fui par dizaines de milliers la plaine de Ninive et la ville de Mossoul. Certains sont restés ; le choix leur était donné de se convertir à l’Islam, de payer l’impôt dû par les dhimmis…ou de mourir. Ils avaient de la chance. D’autres communautés, comme les Yézidis, comme les disciples d’anciennes religions perses, zoroastriens ou mazdéens chaldéens, n’avaient eux le choix que de fuir ou de mourir ; païens aux yeux de l’Islam, ils n’appartenaient pas aux religions du Livre… Voilà pour la religion pacifique et bienveillante !

Le lendemain, deux contacts français, qui vivent à Erbil plusieurs mois par an me mettent garde contre la fausse sécurité qui, selon eux, règne dans le quartier chrétien où je loge, Ankawa. Et d’évoquer les cellules dormantes de Daesh, le maintien de mesures de protection sévères pour tout bâtiment ou personnage officiel, les tensions persistantes à la fois entre l’Etat irakien et la région autonome kurde, entre les chiites et les sunnites, et aussi entre les très riches profiteurs des trafics du pétrole, des chantiers de construction, des mouvements de population, des contrats militaires, et une population vivant essentiellement de la fonction publique, et qui a vu ses salaires divisés de moitié pendant la période du Covid. Biais habituel du résident qui veut effaroucher le visiteur de passage ? Sans doute… sauf que deux jours après mon arrivée, à quelques kilomètres d’Erbil, 20 combattants kurdes, les Peshmergas à la réputation de guerriers farouches, sont tués dans l’attaque d’un village qui ne sera ni revendiquée, ni identifiée… Ajoutons les inondations qui auraient tué plus de dix personnes le 16 décembre ; non, le Kurdistan n’est pas encore tout à fait le pays de rêve qu’il entend être !

Premier constat donc, retour d’Irak ; la situation politique et sécuritaire est loin d’être
figée, encore moins stabilisée. Et la paix n’est pas pour demain – une trêve armée subsiste tant bien que mal. Entre communautés, d’abord. Les fantasmes européens sur un Islam de tolérance et de paix sont loin ; ici, c’est par le sabre que chiites et sunnites entendent régler leurs comptes, et par le sabre qu’ils entendent en finir avec les païens méprisés, les religions prébibliques, et soumettre ce qui reste de chrétiens – les Juifs sont partis depuis longtemps d’une terre où ils avaient été chez eux pendant trois mille ans, depuis la déportation à Babylone ( achevée en 539 avant JC)… Entre empires, ensuite. Les avions militaires américains ne se cachent pas sur l’aéroport d’Erbil, régulièrement attaqués par des drones. Les agents britanniques font l’objet de toutes les suppositions, comme les Israéliens, effectivement impliqués dans la formation, l’armement et l’entraînement des forces kurdes. Et si les Russes ne sont pas loin, ce sont les empires ottomans et perses qui retrouvent leur rivalité millénaire sur des terres à la limite de leurs zones d’influence. Entre groupes et réseaux criminels, enfin. Devant le luxe provoquant des cités kurdes qui se prennent pour Dubaï, devant les files ininterrompues de camions irakiens et turcs transportent qui le pétrole, qui les matériaux de construction, devant les évaluations de fortunes accumulées par les clans pendant la guerre, difficile de ne pas conclure que la région est devenue un carrefour de trafics en tous genres – drogue, armes et migrants rivalisant avec le pétrole, et expliquant de troublantes connivences au temps d’un Etat islamique qui a pu pendant dix huit mois exporter son pétrole sans être inquiété…

Deuxième avertissement pour l’Union européenne ; l’Irak s’invite en Europe. Y a-t-il
deux, trois millions d’Irakiens en Europe ? Impossible de négliger ce qui s’y passe. C’est en Irak, comme c’est en Syrie ou en Afghanistan que se joue la question des migrants. Les appels à la solidarité envers les communautés chrétiennes persécutées, portés avec succès par des organisations comme « SOS Chrétiens d’Orient », visent à la défense et au maintien des chrétiens sur les terres qui sont leur depuis deux mille ans. L’évêque de Bagdad, le père Emmanuel à Mossoul, comme Monseigneur Najeeb à Bruxelles, nous ont confirmé cet appel. Mais le premier sujet européen concerne les réfugiés – et, en Irak, ce mot est généralement justifié. A Ankawa, entre le quartier chrétien et l’autoroute urbaine qui le sépare des quartiers sunnites, plusieurs hectares de terrain vague attendent les projets immobiliers qui ne tarderont pas. Voici encore un an, ils abritaient 1200 caravanes, chacune logeant 6 à 8 chrétiens ayant fui la plaine de Ninive. Tous sont repartis, une part a trouvé logement et travail à Erbil ou dans le Kurdistan qui les a accueillis, une part est partie vers l’Europe, en majorité l’Allemagne, et une part seulement est retournée en Irak, aidée par les multiples associations qui reconstruisent maisons, églises, écoles et bâtiments publics détruits par Daesh. En revanche, sur la route
de Mossoul, comme ailleurs vers Kirkouk, sur des dizaines d’hectares des villages de toile fermés par des barbelés et quadrillés par des véhicules blindés abritent par dizaines de milliers des « réfugiés » dont il est dit qu’une grande partie sont les familles ou les complices des combattants de Daesh, qui ne peuvent ni regagner leurs villes et villages, ni émigrer, et dont certains pourrissent là depuis quatre ans. Démographie explosive, conditions de vie précaires mais assurées, absence de tout projet autre que celui, nous est- il affirmé, de gagner l’Europe ; la bombe à retardement des guerres en Irak, comme en Syrie, comme ailleurs, menace toujours l’Europe. Elle la menace d’autant plus que le sujet est instrumentalisé à loisir. En témoigne le nombre élevé de Kurdes parmi les migrants qui ont tenté de forcer la frontière polonaise à l’invitation de la Biélorussie – des migrants qui n’ont aucune raison de se dire réfugiés, étant donné la stabilité et la tolérance religieuse qui font l’exception du Kurdistan irakien. Elle la menace surtout parce que, malgré le tournant de 2013 et le refus américain d’intervention directe contre la Syrie, les Etats-Unis et leurs alliés n’ont pas renoncé à détruire ce qui tient encore debout comme ordre public politique et Nations fortes dans la région. Comme l’indiquait récemment à Athènes Thierry Mariani, le problème des migrants est la conséquence des fautes de l’Occident. C’est d’abord le problème d’une Union européenne incapable d’arrêter les Etats-Unis dans leurs actions destructrices, incapable aussi de les placer devant leurs responsabilités ; l’agression de l’Irak fondée sur le mensonge avéré de la détention d’armes de destruction massive par Saddam Hussein n’a jamais été payée son prix par les Etats-Unis et leur complice britannique, et c’est l’Union européenne qui paie ce prix, avec sans doute plus d’un million de réfugiés irakiens sur son sol ! La leçon sera-t-elle entendue par une Union européenne plus que jamais suiviste des menées agressives de l’Otan, enrôlée dans des opérations qui ne sont pas les siennes, et engluée dans la collaboration avec la puissance occupante que sont les Etats-Unis ?

Troisième enseignement. Toutes les critiques sont de rigueur à l’encontre des Etats-Unis, d’Israël, des Britanniques, mais s’arrêtent à leur détermination de combattre ; ils savent que le monde demeure dangereux, ils savent désigner leurs ennemis, et ils savent affronter, combattre, et détruire. Margaret Thatcher n’a pas dit que l’invasion des Malouines était inadmissible. Elle a dit ; « je n’admets pas » et elle a envoyé la Navy. Voilà ce que l’Union européenne s’interdit de faire, voilà ce qu’elle interdit aux Nations de faire, ce qui est plus grave. Les Nations européennes n’ont pas su défaire l’Etat islamique, elles n’ont pas su éliminer les groupes islamistes et les soi-disant « modérés » en Syrie, comme elles s’interdisent de nettoyer au Kosovo et ailleurs dans les Balkans ce qui s’y regroupe d’Islamistes fanatiques, qui demain fomenteront les troubles que les Etats-Unis et surtout les Britanniques appellent de leurs vœux – diviser pour mieux régner, et couper ces routes que la Chine ouvre vers l’Europe ! Rien n’est assuré dans la survie de ce qui s’est appelé Europe, et dont l’Union est si loin. Les Etats-Unis, jusqu’à la caricature, Israël, avec de bonnes raisons, développent une paranoïa sécuritaire dont un séjour dans ces lieux du monde qui se ferment au visiteur, qui interdisent l’accès aux curieux, et manifestent avec éclat la persistance des identités religieuses, communautaires ou civilisationnelle, confirme la validité.

Et voilà ce qui devrait tirer l’Union de son sommeil stratégique.

D’abord, le constat que la coexistence entre religions, communautés, Nations, est rien moins que pacifique et que l’angélisme de rigueur peut receler un piège ; interdire de désigner l’ennemi.

Ensuite, le constat que l’affrontement n’est plus celui que nous voyons, celui que nous croyons voir, celui que les fantasmes entourant la présence des mercenaires de « Wagner » nous donnent à voir. L’empire ottoman, l’empire perse sont de retour. Comme d’autres, ils utilisent tous les moyens pour affaiblir des Nations européennes qui se croient à l’abri, et l’arme des migrants comme celle de la subversion religieuse fonctionne à plein régime. Quand la Turquie organise un sommet avec 39 dirigeants africains, les 16 et 17décembre, toute l’Afrique de l’Ouest répondant présent, avec les deux Congo et la Centrafrique, avec le Mali et le Burkina, le Tchad et le Niger, la France doit se réveiller d’urgence !

Enfin, le constat que nous payons les erreurs ou les crimes d’autres puissances, faute d’avoir su dire « non », faute d’avoir su en finir avec la dépendance stratégique, faute d’accepter cette vérité énoncée par le général de Gaulle au nom de la France ; si des Nations européennes font la guerre, il faut que ce soit leur guerre, et si elles la font ensemble, il faut que ce soit la guerre de l’Europe – pas celle des Etats-Unis d’Amérique ou de leurs alliés, pas celle de l’OTAN ou des Fondations qui gangrènent la politique internationale. Sinon, comme en Irak, comme en Syrie, comme en Libye, comme en Serbie, nos soldats ne sont que mercenaires ou complices. Et demain, où seront-ils ?

Hervé Juvin
Strasbourg, le 17 décembre

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