Vers la fin du clivage gauche/droite en Europe ?
Tous les lundis matin, vous pouvez retrouver Raphaël Audouard, le directeur de la Fondation Identité et Démocratie, dans Ligne Droite, la matinale de Radio Courtoisie puis sa chronique sur notre site internet. Cette semaine, nous nous intéressons à l’affaiblissement du clivage gauche/droite en Europe.
Regardez la vidéo :
L’émergence de partis populistes en Europe témoigne des bouleversements politiques en cours en Europe. Le clivage droite/gauche traditionnel est de plus en plus remis en cause par l’apparition de nouveaux acteurs politiques porteurs de nouvelles thématiques, dont l’immigration et l’insécurité. Pourtant, ces évolutions s’opèrent différemment en fonction des pays européens.
Les pays d’Europe centrale et de l’Est : un basculement des partis mainstream
En Europe centrale et de l’Est, on observe une évolution de certains partis mainstream. En fonction des pays, un ou plusieurs grand parti, jusque-là parfaitement intégré dans le système politique, s’empare des questions liées à l’immigration et dans une moindre mesure au wokisme pour adopter une posture plus populiste et nationale-conservatrice et s’opposer au reste de l’échiquier politique. Il peut s’agir de partis de droite (c’est le cas par exemple en Hongrie avec le Fidesz de Victor Orban, en Pologne avec le parti Droit et Justice ou encore en Tchéquie avec l’ANO 2011) ou de partis de gauche sociaux-démocrates comme en Bulgarie, en Roumanie, en Croatie ou encore en Slovaquie. Ces évolutions sont rendues possibles par le fait que les populations dans ces pays sont plus conservatrices, plus identitaires, et sont donc prêtes à accompagner et à soutenir des évolutions qui, en France par exemple, provoqueraient une crise dans le parti concerné. Par ailleurs, le fait que ces partis populistes soient historiquement ancrés dans la vie politique locale rend plus difficile leur diabolisation. Dans le même temps, de petits partis nationalistes émergent et, pour certains, s’allient avec les grands partis populistes au sein de coalitions. C’est le cas par exemple en Slovaquie, où la coalition au pouvoir est composée des sociaux-démocrates du Smer-SD de Robert Fico et du HLAS-SD et d’un petit parti nationaliste, le Parti national slovaque membre du Parti Identité et Démocratie. Dans de nombreux pays d’Europe de l’Est et centrale, le clivage patriote/mondialiste a ainsi remplacé le clivage gauche/droite traditionnel.
Les pays d’Europe de l’Ouest et du Sud : l’émergence de nouveaux partis patriotes
Dans les pays d’Europe de l’Ouest et du Sud, cette évolution du paysage politique est à son commencement et la situation est assez différente. L’émergence du populisme n’est pas le fait de la transformation de partis mainstream, mais est liée à l’apparition de partis patriote qui cherchent à renverser l’échiquier politique en s’opposant à l’ensemble des anciens partis dominants pour tenter de s’imposer comme une des deux grandes forces du système politique. Il s’agit le plus souvent de partis de droite (le RN en France, Vox en Espagne ou encore Chega au Portugal) mais on peut observer des phénomènes similaires avec des partis de gauche (le parti de Sahra Wagenknecht en Allemagne, le Mouvement 5 Étoiles en Italie ou encore le Sinn Féin en Irlande). Dans la plupart des cas, ces partis n’ont pas encore réussi à s’imposer comme une des deux grandes forces du pays. Cependant, quelques cas particuliers existent. La France est le pays le plus avancé dans cette transformation de l’échiquier politique. Le clivage principal oppose désormais d’un côté le RN qui est un parti patriote-populiste à Renaissance, le parti d’Emmanuel Macron, qui incarne un centre libéral-mondialiste. En Grèce et en Italie, la situation est un peu différente car des coalitions populistes se sont formées par le passé et ont accédé au pouvoir, mais ont finalement disparu. En Grèce, entre 2015 et 2019, le pays était dirigé par une coalition regroupant le parti de gauche radicale Syriza et un petit parti nationalistes, les Grecs indépendants. De même, entre 2018 et 2019, l’Italie était dirigée par la Lega, le parti nationaliste de droite de Mattéo Salvini, et les populistes de gauche du Mouvement 5 Étoiles. L’effondrement de ces coalitions a provoqué un retour du clivage gauche/droite même si dans ces deux cas, la droite a conservé des éléments du programme anti-immigration des populistes. L’Europe de l’Ouest et du sud semble donc suivre petit à petit la même tendance que les pays de l’Est et d’Europe centrale.
Les pays nordiques : un basculement de l’ensemble de l’échiquier politique
Dans les pays nordiques, l’ensemble de l’échiquier politique est en train de basculer sur la question de l’immigration. L’ensemble des partis, de la gauche sociale-démocrate aux populistes de droite semble de plus en plus s’accorder pour remettre en cause l’immigration. De ce fait, l’immigration est moins un sujet de clivage que dans d’autres pays et le clivage gauche-droite, centré autour des questions économiques, et dans une moindre mesure autour de sujets comme l’écologie, le féminisme ou les droits LGBT, se maintient. Des politiques strictes en matière de migration sont appliquées par la gauche sociale-démocrate au Danemark, mais par la droite en Finlande et en Suède.
Il y a ainsi trois grands ensembles en Europe : les pays d’Europe de l’Est et du centre où le clivage patriote-mondialiste est issu de l’évolution de grands partis mainstream, l’Europe de l’Ouest et du sud où de nouveaux partis populistes émergent et cherchent à bouleverser l’échiquier politique et l’Europe du Nord où l’ensemble de l’échiquier politique a évolué sur la question migratoire, et où le clivage gauche-droite reste pertinent.
Les causes de l’émergence de ce nouveau clivage patriotes/mondialistes
La mondialisation et les vagues migratoires qui l’ont accompagné ont transformé les sociétés européennes et provoqué l’apparition de nouveaux enjeux. De plus, un nouveau clivage est apparu dans la société opposant deux catégories de la population. D’un côté, les grandes villes ouvertes à la mondialisation ont vu se développer des classes moyennes et supérieures bénéficiant de la mondialisation et enclines à défendre des valeurs de liberté, notamment économique, et d’ouverture à l’immigration. Dans le même temps, ces défenses de valeurs de liberté et d’ouverture vont les pousser aussi à adopter des positions progressistes. Dans ces mêmes villes, vont se concentrer dans les banlieues périphériques des populations immigrées venues des pays du sud qui, même si elles restent très pauvres, bénéficient de la mondialisation qui leur a permis de venir dans les pays du Nord et d’espérer une vie meilleure. De plus, cantonnées bien souvent aux métiers de service, ces populations bénéficient parfois de l’augmentation de la consommation des classes supérieures des villes. Se forme donc une coalition de gagnants de la mondialisation, même si cette coalition regroupe des populations très riches et très pauvres. À l’inverse, dans les périphéries, c’est-à-dire dans les villes moyennes ou dans les campagnes, les classes populaires et moyennes inférieures souffrent de la mondialisation et expriment des attentes de protection face à différentes formes d’insécurité : insécurité physique liée à l’augmentation de la violence due en partie à l’immigration, insécurité culturelle due aux bouleversements culturels engendrés à la fois par l’immigration du sud et par l’influence de la culture américaine et insécurité économique qui provoque des attentes en termes de protection sociale pour faire face à l’augmentation du chômage dû aux délocalisations et aux difficultés économiques liées à la mondialisation. Le clivage patriote/mondialiste actuel traduit cette opposition entre des partis libéraux, progressistes et mondialistes qui vont défendre la vision du monde des classes aisées des grandes villes et des partis populistes, patriotes et sociaux qui vont chercher à répondre aux besoins de protection des classes populaires et moyennes périphériques.