Retrait de Barkhane et Takuba au Mali et après ?
Retrait de Barkhane et Takuba au Mali et après ?
L’annonce faite par Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse du 17 février 2022 du retrait des opérations militaires françaises au Mali est un événement historique, même si le président français a mis en place une communication habile pour en diminuer l’impact. Ce départ entérine « le déclin français » sur la scène internationale et pourrait faire vaciller sa place privilégiée au sein du Conseil de Sécurité acquise au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. A elle seule, l’Afrique représente plus de 60% des travaux des Nations unies, la France rédige un quart des résolutions du Conseil de Sécurité, dont la plus grande partie sur les dossiers africains qui représente la moitié du programme de travail du Conseil. Or, les dernières interventions militaires françaises sur le Continent, Libye, République Centrafricaine, Mali se sont toutes soldées par des échecs politiques et diplomatiques.
Conscient du tsunami que représentait, après neuf années d’intervention, le départ de Barkhane et de Takuba du Mali et des conséquences que celui-ci pouvait avoir sur l’image de Paris, les mots « retrait » ou « fin » n’ont pas été prononcés par le Président français. Il a seulement été acté, dans un communiqué publié quelques minutes avant la conférence de presse, que les forces françaises et européennes quitteraient de manière ordonnée leurs bases de Gossi, Gao et Ménaka dans un délai de quatre à six mois. Par ailleurs, pour en atténuer encore l’effet d’annonce, l’accent a été mis sur la continuité de la lutte contre le terrorisme et sa poursuite dans d’autres Etats de la région.
Enfin, pour ne pas apparaître seul et en première ligne, Emmanuel Macron avait convié à l’Elysée Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine, Nana Akufo Ado représentant la Cedeao et Charles Michel, président du Conseil européen. L’Afrique et l’Europe étaient donc présentes aux côtés du chef de l’Etat lors de cette annonce.
Pour autant, il ne faudrait pas croire que, pour une fois, la solidarité européenne se soit exprimée ici. Le 14 février, soit trois jours avant cette conférence, Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères a pris les devants et jugé utile de rappeler que Takuba, « n’est pas une initiative de l’Union européenne (…) faisons la différence entre les missions européennes et une initiative française épaulée par d’autres pays. » En effet, cette task force a été créée par la France pour servir de laboratoire de la « défense européenne » qu’Emmanuel Macron a théorisé lors de son discours de la Sorbonne en 2017. D’une manière plus pragmatique, il s’agissait avant tout de sortir la France de sa solitude sahélienne et du tête-à-tête entre Paris et ses anciennes colonies. Il a fallu plus de deux ans de négociations bilatérales ardues, entre la ministre des Armées, Florence Parly, et certains de ses homologues européens. Par exemple, et contrairement à ce qui a pu être écrit ici ou là, le déploiement de troupes françaises en Roumanie, sur le flanc oriental de l’Otan, n’est pas lié à l’actualité ukrainienne, il était prévu depuis plus d’une année dans le cadre d’un échange de bons procédés lié à Takuba. Bucarest devait envoyer 50 soldats au Mali, à ce jour, ils ne sont pas encore arrivés sur le terrain. Parallèlement, la France devait dépêcher un bataillon de deux cent hommes, pour l’instant seuls deux officiers français sont présents en Roumanie. Après l’intervention militaire russe en Ukraine, le chef de l’Etat a porté le nombre de soldats français en Roumanie à 500 hommes. Idem, en Estonie, premier partenaire de Takuba où la France était déjà présente et s’apprête à renforcer son dispositif.
Une communication si habile soit-elle ne change pas l’eau en vin, en pleine campagne électorale Emmanuel Macron affronte donc seul la crise diplomatique malienne qui reste entière malgré l’annonce de retrait.
En effet, moins de 24 heures après la déclaration à l’Elysée et en pleine conférence de presse finale à Bruxelles du sommet UE/UA, Bamako a répondu par un communiqué lu à la télévision nationale. Le porte-parole du gouvernement, Abdoulaye Maïga a déclaré inviter « les autorités françaises à retirer, sans délai les forces Barkhane et Takuba du territoire national, sous la supervision des autorités maliennes. » Il a répété cette phrase trois fois, ce qui, dans la culture locale, signifie que cette décision est irrévocable. Emmanuel Macron a réagi dans la foulée : « Nous avons annoncé la réarticulation du dispositif et il s’appliquera en bon ordre afin d’assurer la sécurité de la mission des Nations unies et de toutes les forces déployées au Mali. Je ne transigerai pas une seconde sur leur sécurité ». Le bras de fer entre les deux pays continue et personne ne peut augurer de la suite. Tout est envisageable, y compris dans le pire des cas, un départ précipité des forces françaises.
Une série d’obstacles à surmonter…
Les mois à venir apparaissent donc particulièrement importants et ce d’autant que la « réarticulation » du dispositif s’est réalisée dans le but essentiel de minimiser les effets d’un départ du Mali. Si la nouvelle réorganisation n’a pas été détaillée par le président français qui a reporté les précisions à juin 2022, soit après la présidentielle, c’est également parce que rien n’est encore arrêté et que cette situation n’a pas été anticipée alors que tous les signaux étaient présents depuis fort longtemps.
Le désaveu envers la présence militaire française a été graduel, il s’est installé au fur et à mesure de la dégradation sécuritaire dans le Sahel qui a connu son acmé en 2019. Mais ce sont surtout les décisions politiques prises par l’Elysée et le Quai d’Orsay qui ont chauffé à blanc les opinions publiques. Il paraît opportun de rappeler qu’il n’y a pas de réel sentiment antifrançais dans le Sahel, aucun expatrié n’a jamais été pris à parti. C’est en réalité un rejet de la politique incarnée par les figures d’Emmanuel Macron et de Jean-Yves Le Drian.
Ce rejet de la présence française est une équation à prendre en compte dans la réorganisation. Selon ledit communiqué de l’Elysée la lutte contre le terrorisme devrait se poursuivre dans la région du Sahel, notamment au Niger et dans le Golfe de Guinée. Le Niger est une pièce essentielle du nouveau dispositif et sa frontière avec le Mali permettra une évacuation plus rapide de la base française de Gao et de celle de Takuba à Ménaka puisque les nouvelles bases devraient être installées près de la frontière malienne, dans la zone dite des Trois frontières.
Jusqu’à présent, le président nigérien Mohamed Bazoum, s’est montré un fidèle allié de la France. Il a accepté de recevoir une partie du contingent français sur son sol, Niamey abrite déjà des forces, Américaines, Allemandes, Italiennes. Néanmoins, il semble qu’il soit devenu très prudent devant le tollé que provoque toutes les ingérences militaires étrangères, au sein des populations comme de l’opposition. Fait nouveau, il a décidé de soumettre ces nouvelles dispositions à un vote du parlement. Même si son parti est largement majoritaire, une mauvaise nouvelle, apparemment improbable, est pourtant toujours possible…
Concernant le Burkina Faso qui devrait, lui aussi, faire partie, certes dans une moindre mesure du prochain dispositif : les nouvelles autorités issues du coup d’Etat du 23 janvier dernier apparaissent plus favorables à la présence militaire française que l’ancien président Roch Marc Christian Kaboré. Pour autant, la situation politique n’est pas stabilisée et l’opinion publique burkinabè se montre aussi très frileuse, ce pays ayant payé le plus lourd tribut de la dégradation sécuritaire.
Quant au basculement vers les pays côtiers, il semble d’ores et déjà acquis que la France renforcera sa base d’Abidjan, qui est déjà un soutien logistique de Barkhane et où sont positionnés 950 militaires français (FFCI). Le Bénin semble aussi sur les rangs, concernant le Togo et le Sénégal, le flou demeure.
Pour autant et quel que soit le format de la restructuration, la question essentielle reste posée, comme le souligne non sans pertinence l’ISS (Institute for Security Studies ) : « Mettre en œuvre une approche antiterroriste identique à celle qui a été utilisée au Sahel, sans en identifier les points faibles ni faire le bilan des logiques et des pratiques des dispositifs de sécurité existants, ferait courir des risques aux pays côtiers et à la région. » En effet, reproduire les schémas qui ont conduit à l’échec sahélien dans le Golfe de Guinée conduira inévitablement aux mêmes résultats. Les mêmes causes produisant les mêmes effets…
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