Élections au Portugal : Victoire de la droite et des patriotes
Les élections du 10 mars 2024 ont été marquées par deux bouleversements : la victoire du centre-droit après neuf ans de gouvernement socialiste et la très forte progression des patriotes de Chega. Reste maintenant à savoir vers qui se tournera le nouveau gouvernement : la gauche ou les patriotes ?
Le Portugal, pendant longtemps bastion du clivage gauche/droite
Depuis le retour de la démocratie suite à la Révolution des œillets en 1974, la vie politique portugaise est dominée par deux partis politiques : d’un côté, le Parti Socialiste (PS) de gauche, de l’autre le Parti Social-Démocrate, parti attrape-tout allant du centre-gauche social-démocrate à la droite conservatrice, mais globalement de centre-droit.
À côté de ces deux partis existe une gauche radicale, historiquement forte du fait de son rôle dans la chute du régime de Salazar, divisée entre le Bloc de Gauche et le Parti Communiste Portugais (PCP). Si le Bloc ressemble au reste de la gauche radicale européenne, le PCP est resté un parti communiste « à l’ancienne », marxiste-léniniste et critique de l’Union européenne, de l’immigration et de certaines mesures progressistes. Depuis 2022, la gauche radicale est en difficulté, car l’électorat de gauche ne lui pardonne pas d’avoir entraîné la chute du gouvernement socialiste en 2022 et de nouvelles élections.
À l’inverse, les partis patriotes ont peiné à émerger pendant des décennies. Cela s’explique pour deux raisons. Tout d’abord le souvenir de la dictature de Salazar, à laquelle était ramené immédiatement tout parti réellement patriote ou conservateur (un phénomène similaire pouvait s’observer en Espagne jusqu’à l’émergence de Vox). Ensuite, le discours populiste du Parti communiste lui permettait de séduire les milieux populaires et de maintenir à gauche alors que dans le reste de l’Europe, cet électorat se tourne vers les partis populistes de droite.
L’émergence de Chega et la chute des socialistes
Les choses ont commencé à changer à partir de 2019 avec l’émergence d’un nouveau parti patriote, Chega, membre du Parti Identité et Démocratie. Ce parti progresse depuis sa création. En 2019, lors de sa première participation aux élections, il avait réalisé seulement 1% des suffrages, mais déjà trois ans plus tard, il passait à 7%. Il bénéficie de l’effondrement de la gauche radicale et des affaires de corruption qui ont touché le gouvernement de gauche. Dans le même temps, la montée de l’immigration et des problèmes liés à cette dernière renforce les patriotes.
Dans le même temps, les socialistes ont vu leur popularité fondre. Les élections de 2022 avaient pourtant été un triomphe pour le Parti Socialiste portugais qui avait remporté une majorité absolue au parlement. Depuis le retour de la démocratie, c’était seulement la seconde fois après 2005 que les socialistes obtenaient la majorité. Compte tenu du fait qu’ils étaient déjà au pouvoir depuis 2015, c’était un vrai succès pour eux qui venait confirmer une domination de la gauche portugaise qui semblait ne pas devoir s’arrêter. Néanmoins, la gauche a été rattrapée par un scandale de corruption lié à des concessions d’exploration de lithium et de production d’hydrogène, scandale qui est venu éclabousser le Premier ministre socialiste, mais aussi plusieurs ministres de son gouvernement entrainant la chute de ce dernier et de nouvelles élections. Cette affaire de corruption a profondément entaché la popularité des socialistes portugais et les sondages annonçaient une victoire du centre-droit.
Un pays sans majorité gouvernementale
Comme attendu, les élections ont vu la victoire de l’Alliance Démocratique (AD), coalition de centre-droit créée autour du Parti social-démocrate et regroupant les droites libérales et conservatrices. Avec 29,5% des voix et 79 sièges sur 226, le centre-droit surpasse de peu le PS (28,7% et 77 sièges). Les autres vainqueurs de ces élections sont sans conteste les patriotes. Chega double son score avec 18% des voix et 48 sièges (contre 12 auparavant précédemment) et s’impose comme la troisième force du pays. Reste désormais à savoir avec qui compte gouverner le centre-droit. Si l’Alliance Démocrate et ses alliés libéraux, ni le PS et ses partenaires écologistes et radicaux de gauche n’ont de majorité. Pour gouverner, le centre-droit a deux possibilités : un gouvernement minoritaire avec le soutien tacite de la gauche ou une alliance avec les patriotes.
Cette question domine le début politique au Portugal depuis plusieurs semaines : est-ce que le Parti social-démocrate va rompre le cordon sanitaire ? Pour le moment, c’est non. Le président du Parti social-démocrate a affirmé avant et après les élections qu’il n’envisageait pas d’alliance avec Chega. De son côté, le PS a assuré qu’il n’empêcherait pas la formation d’un gouvernement minoritaire si cela était la seule solution pour éviter l’arrivée au pouvoir de Chega. On peut néanmoins remarquer deux choses. Tout d’abord, si on met de côté les patriotes, la gauche est plus forte que la droite et le centre. Ensuite, l’Alliance Démocratique a mené une campagne très droitière en mettant notamment en avant les questions de la sécurité, de l’immigration rapprochant ainsi son discours de celui de Chega. Difficile ensuite de mener une politique en concertation avec la gauche. Dans tous les cas, les patriotes sortiront renforcer de cette séquence. Soit, ils seront intégrés d’une façon ou d’une autre dans le gouvernement de droite ce qui viendra confirmer qu’ils sont devenus une force politique majeure dans le pays. Soit, ils seront la seule vraie opposition à un gouvernement de centre-droit soutenu par la gauche permettant l’émergence d’un clivage non plus entre gauche et droite, mais entre patriotes et mondialistes.
