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Elections en Turquie – lourde défaite pour Erdogan

Les élections municipales du 31 mars dernier ont constitué un sévère revers pour le président turc Recep Tayyip Erdoğan. Celui qui semblait invincible depuis sa réélection en mai 2023 voit son parti, le Parti de la justice et du développement (AKP) s’incliner non seulement à Istanbul et à Ankara, déjà détenues par l’opposition, mais aussi dans de nombreuses autres villes, dont des bastions de l’AKP en Anatolie.

 

Un sérieux revers pour l’AKP

 

Depuis sa création en 2001, l’AKP domine la vie politique turque et a pu imposer son idéologie islamo-nationaliste combinant un nationalisme turc expansionniste nostalgique de l’Empire ottoman et un islamisme sunnite inspiré des Frères musulmans. Les élections présidentielles et législatives de 2023 avaient été un triomphe de pour le parti d’Erdoğan malgré la formation d’une vaste coalition d’opposition rassemblant sociaux-démocrates, libéraux, nationalistes laïcs, et même islamistes opposés à l’AKP. Cette alliance des oppositions n’avait d’ailleurs pas survécu à son échec.

 

Pourtant, la situation paraissait plus compliquée pour Recep Tayyip Erdoğan à la veille de ces élections. Économiquement, le pays est en difficulté avec une forte inflation qui a mené à une hausse du coût de la vie et donc à une baisse du pouvoir d’achat. La situation des finances publiques et mauvaise et la corruption continue de gangrener le pays. Le terrible tremblement de terre qui avait ravagé le pays en 2023 avait montré l’ampleur de la corruption et ses conséquences dramatiques pour le pays. Par ailleurs, la Turquie a été l’un des principaux soutiens de l’opposition syrienne lors de la guerre civile et a accueilli plusieurs millions de Syriens. Or, cette immigration syrienne pose de plus en plus de problèmes d’insécurité et aggrave le chômage dans le pays, entrainant une gronde dans les milieux nationalistes pourtant partisans du gouvernement de l’AKP. Enfin, la position ambiguë de la Turquie vis-à-vis du conflit israélo-palestinien n’a pas été comprise par la base électorale d’Erdoğan. Membre de l’OTAN et ennemie de l’Iran et de ses alliés, la Turquie est de fait un allié d’Israël. Le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, où la Turquie et Israël constituent les principaux soutiens de l’Azerbaïdjan tandis que l’Iran soutient l’Arménie, a renforcé les liens entre l’état hébreux et le régime turc. Dans le même temps, le peuple turc, et notamment les islamistes et les nationalistes, soutient la Palestine et l’AKP est issu des Frères Musulmans comme le Hamas palestinien. Cela met le gouvernement turc dans une situation compliquée, entre une diplomatie pro-israélienne et un discours pro-palestinien.

 

Le triomphe du CHP

 

Pour le Parti républicain du peuple (CHP), ces résultats sont tout autant un triomphe spectaculaire qu’une surprise. Pour la première fois depuis 1977, il devient le premier parti du pays. Avec 37,77% des voix contre 35,49% pour l’AKP, il dirige désormais les cinq principales villes du pays et 35 capitales provinciales sur 81. Le CHP s’impose désormais comme la principale force d’opposition à Erdoğan, d’autant plus que son idéologie et son projet sont aux antipodes de ceux de l’AKP. Le CHP fut fondé en 1919 par Mustafa Kemal Atatürk, père de la République de Turquie et cherche à faire vivre sa vision d’une Turquie laïque tournée vers l’Europe, c’est-à-dire précisément l’héritage que cherche à effacer Erdoğan. Son programme est un mélange de gauche social-démocrate et de nationalisme laïc. Son président Özgür Özel est bien parti pour apparaître dans les années qui viennent comme un rival sérieux pour le président turc.

 

La déroute des nationalistes

 

Les élections de 2023 avaient été un succès pour la droite nationaliste, celles de 2023 sont un désastre. Le Parti d’action nationaliste (MHP), parti ultranationaliste allié d’Erdoğan lié au groupe terroriste Les Loups Gris, s’effondre à 4,99%. Le Bon Parti (IYI), scission anti-Erdoğan du MHP, qui ambitionnait de remplacer le CHP comme principal parti d’opposition fait encore pire : 3,77%, menant à la démission de sa présidente et fondatrice, Meral Akşener. Ce recul des nationalistes, qu’ils soient pro ou anti Erdoğan, est une surprise, tant le nationalisme turc, bien plus encore que l’islamisme sunnite, apparait comme l’idéologie dominante de la Turquie contemporaine. Il est possible qu’une partie de l’électorat nationaliste ait préféré le discours de gauche nationaliste laïc du CHP à ceux de ses rivaux de droite, certes plus radicaux, mais plus compromis avec l’islamisme. A noter le score surprenant du Nouveau parti de la prospérité (YRP), parti islamiste issu d’une scission de l’aile radicale de l’AKP, qui avec 6,19% des suffrages montre qu’il existe un électorat islamiste pour qui la synthèse islamo-nationaliste d’Erdoğan n’est pas suffisante et qui reproche au président turc sa non remise en cause de la constitution laïque de la République de Turquie, ainsi que son soutien à Israël.

 

L’heure de vérité pour Erdoğan

 

Erdoğan espérait mettre en place dans les années qui viennent une nouvelle constitution pour renforcer l’emprise de l’islamisme dans la société et surtout pouvoir rester au pouvoir après la fin de son mandat en 2028. Ce revers va l’obliger à revoir ses plans et à consolider sa base avant de pouvoir se lancer dans son projet. Outre la nécessité d’importantes réformes économiques, ces élections ont montré les limites de ma synthèse islamo-nationaliste de l’AKP. Alors qu’elle avait permis par le passé de rassembler derrière un même projet nationalisme laïc et islamiste, elle a dans le même temps fourni un espace aux éléments les plus radicaux de l’islamisme turc et aux éléments les plus laïcs du nationalisme. Il sera nécessaire pour le président turc d’aller chercher ces électorats s’il ne veut pas voir son règne se terminer brutalement et la réislamisation du pays opéré depuis deux décennies être remise en cause par un retour au pouvoir des kémalistes du CHP.

 

Une menace pour l’Europe

 

Il est hélas à craindre que, comme par le passé, le président turc se serve de la guerre pour apparaître comme le champion du nationalisme turc et détourner le peuple des échecs de sa politique intérieure. Le bon score du Parti de l’égalité et de la démocratie des peuples (DEM) dans les zones kurdes, une minorité représentant 15% à 20% de la population turque et traversée par des mouvements séparatistes de gauche pourrait pousser Erdoğan à faire de la lutte contre les nationalistes kurdes une priorité. Ce parti regroupe en effet non seulement la gauche radicale turque, mais aussi les nationalistes kurdes. Parmi les principaux partis turcs, il est d’ailleurs le seul à rejeter le nationalisme turc au profit d’une vision progressiste, multiculturelle et pluriconfessionnelle de la Turquie. Il est ainsi le seul à reconnaître le génocide perpétré à l’encontre des minorités chrétiennes de Turquie, dont les Arméniens, au début du XXème siècle. Des heurts ont éclaté dans les municipalités kurdes remportées par le DEM et il est probable que le gouvernement turc empêche les maires élus de siéger. Dans le même temps, la Turquie multiplie les menaces contre les groupes armés kurdes présents dans le nord de l’Irak et de la Syrie. La Turquie occupe d’ailleurs une partie de la Syrie avec le soutien des islamistes syriens opposés au président Bachar el Assad. Si le conflit entre Israël et la Palestine se poursuit, la Turquie pourrait être tentée de lancer une attaque contre ces régions, profitant du fait que l’Iran et le Hezbollah libanais, principaux soutiens de l’Iraq et de la Syrie, sont occupés à soutenir les Palestiniens. De même, la Turquie pourrait pousser l’Azerbaïdjan, dont le régime constitue son principal allié, à lancer une offensive contre l’Arménie, elle aussi soutenue par l’Iran. La Turquie renforce aussi son influence dans les Balkans, et en particulier en Bosnie et au Kosovo où on peut observer une montée des tensions où la Turquie bénéficie de la complaisance des Etats-Unis qui craigne le nationalisme serbe russophile. Enfin, il ne faut pas oublier que la Turquie soutient en Ukraine des groupes armés islamistes, principalement tatars (un peuple turcophone originaire de Crimée) et tchétchènes (un peuple issu du Caucase et dont le territoire fait partie de la Russie) dans l’espoir d’étendre son influence sur les musulmans de Russie. Loin de l’affaiblir, il est donc à craindre que cette défaite ne fasse qu’attiser l’impérialisme turc aux portes de l’Europe.

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